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IA et droit : des origines aux récentes législations

Dernière mise à jour : 11 avr.

L'intelligence artificielle existe depuis un certain temps déjà, mais sa sacralisation semble pourtant assez récente ! Bien qu'elle soit présente dans notre quotidien depuis des années, son nouvel aspect spectaculaire, mis en lumière par des systèmes comme ChatGPT et d'autres IA génératives, la rend bien plus visible aux yeux du grand public. Dans cette ère où les systèmes d'IA se démultiplient, le droit doit également se mettre à jour. Il s'agit ici d'explorer l'évolution de la relation entre l'IA et le droit, et de mettre en lumière les récentes avancées législatives en France et au sein de l'Union Européenne.


Photo de Cash Macanaya sur Unsplash
Photo de Cash Macanaya sur Unsplash

Sommaire


  1. De quand datent les premières IA ?

  2. L'intérêt récent du droit pour l'IA

  3. L'IA Act : on fait le point


1. De quand datent les premières IA ?


Répondre à cette question nécessiterait déjà de définir ce qu'est l'intelligence artificielle. Et si l'on souhaite vraiment développer cette notion, cela impliquerait alors un débat sur la nature de l'IA, ses caractéristiques techniques, ou encore ses diverses possibilités. Et... on n'est pas tous d'accord sur le sujet !


Mais ce qui est sûr, c'est que l'IA était là bien avant ChatGPT ! Nous utilisons d'ailleurs l'IA au quotidien depuis des années : GPS, moteur de recherche, boîte mail, et recherche vocale en sont quelques exemples de la vie courante (et il y en a tant d'autres). Une certitude également, c'est que l'IA ne correspond pas au fantasme présenté dans certains films, séries, ou mythes. Non non... je suis désolée, mais l'intelligence artificielle n'est pas un humanoïde destiné à nous détruire tous !


Les premières IA peuvent sembler difficiles à dater, mais plusieurs événements majeurs aux alentours des années 1950 pourraient être considérés comme marquant la naissance de l'IA :

  • 1950 : L'article Computing Machinery and Intelligence, où Alan Turing dévoile notamment son fameux Test visant à évaluer la capacité d'une machine à imiter le comportement humain ;

  • 1956 : L'étude de deux mois qui a eu au Dartmouth College, à laquelle des chercheurs tels que John McCarthy ou Marvin Minsky ont participé, et où le terme Artificial Intelligence a été employé pour la toute première fois ;

  • 1956 : Le programme Logic Theorist développé par Herbert Alexander Simon, Cliff Shaw et Allen Newell, visant à démontrer des théorèmes mathématiques à la manière d'un humain ;

  • 1957 : Le Perceptron créé par Frank Rosenblatt, qui est l'un des premiers modèles de réseaux de neurones et qui posera des bases essentielles dans le développement de l'IA.


Bien que son histoire fut ponctuée de deux pauses appelées « les hivers de l'intelligence artificielle », des avancées significatives ont été réalisées dans les décennies suivantes et jusqu'à aujourd'hui. Le développement de réseaux neuronaux et des algorithmes d'apprentissage automatique (machine learning et deep learning) ont donné naissance aux IA génératives que l'on connaît désormais.


2. L'intérêt récent du droit pour l'IA


Oui, l'IA ne date pas d'hier ! Et pourtant, le droit ne s'y intéresse concrètement que depuis l'essor fulgurant des IA génératives (et plus précisément de ChatGPT, qui a ouvert le bal !).

Comme le disait Alexandra Bensamoun lors de la formation dédiée à l'IA générative et l'avocat organisée par Side Quest « Un des grands enjeux de la régulation de l'IA est de faire attention à ne pas aller trop vite, afin de ne pas se pénaliser par rapport à d'autres pays qui ne vont pas s'encombrer des mêmes contraintes. » mais « il est impossible de construire un marché éthique et compétitif en écrasant une partie du secteur et il faut donc respecter la chaîne de valeur ».

Tous les domaines du droit sont directement ou indirectement impactés par l'intelligence artificielle. Dans cet article, nous ferons un petit focus sur trois domaine en particulier :

  • Le droit d'auteur

  • Le droit des données personnelles

  • Le droit de la responsabilité


● IA et droit d'auteur


L'IA soulève beaucoup de questions liées aux droits d'auteur. Celles-ci portent plus particulièrement sur deux points cruciaux :

  1. Dans quelle mesure une IA peut-elle exploiter des créations préexistantes protégées par le droit d'auteur pour entraîner son algorithme d'une part et pour générer des contenus d'autre part ?

  2. Les contenus générés par IA peuvent-ils bénéficier de la protection par le droit d'auteur ?



Concernant la première question, il est par principe nécessaire d'obtenir une autorisation afin d'exploiter des créations protégées par le droit d'auteur, au risque de commettre un ou plusieurs actes de contrefaçon. Cependant, la Directive de 2019 (1) a mis en oeuvre une exception au droit d'auteur nommée « text and data mining » que l'on retrouve désormais aux articles L. 122-5 10° et L. 122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle. Cette exception ne peut néanmoins être exercée qu'à certaines conditions, et notamment lorsque l'accès aux créations a été réalisé de manière licite et que l'auteur n'a pas exercé son droit d'opt out pour s'opposer à cette exception. Aujourd'hui, on observe non seulement que la plupart des créations semblent provenir de sources illicites, mais également que les auteurs exercent quasiment tous leur droit d'opt out.


Concernant la deuxième question, j'avais eu l'occasion d'expliquer dans un précédent article qu'il n'y a pas de droit d'auteur en France concernant les créations générées par IA (à date en tout cas). Cette position pourrait peut-être évoluer dans les prochaines années, mais c'est l'état actuel du droit en France.


Le futur Règlement IA, issu de la Proposition de Règlement du 21 avril 2021 (2), prévoit notamment des nouvelles obligations de transparence liées aux droits d'auteur. En outre, une proposition de loi française (3) s'est penchée sur le sujet en préconisant d'insérer de nouvelles règles dans le Code de la propriété intellectuelle. Il est cependant probable que cette loi ne voit jamais le jour, notamment en raison de ses complexités techniques, de son manque de précision générale, et des risques de contradiction avec l'IA Act.



● IA et données personnelles


La collecte et le traitement massif de données par les systèmes d'IA soulèvent des problématiques juridiques majeures en matière de protection de la vie privée et des données personnelles. On peut notamment se poser la question suivante ici : dans quelle mesure une IA peut-elle exploiter des données personnelles pour entraîner son algorithme d'une part et pour générer des contenus d'autre part.

« Les dispositions relatives à la recherche et à l’innovation dans le RGPD permettent un régime aménagé pour les acteurs innovants de l’IA qui utilisent des données de tiers. Le développement de systèmes d’IA est conciliable avec les enjeux de protection de la vie privée ». Intelligence artificielle : la CNIL dévoile ses premières réponses pour une IA innovante et respectueuse de la vie privée, 11 octobre 2023

Ainsi, tout développement d'une IA nécessite de respecter les règles relatives à la protection des données personnelles que l'on trouve notamment au sein du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). La Cnil a également publié des fiches pratiques relatives à la constitution de bases de données d’apprentissage des systèmes d'IA, afin d'accompagner le déploiement de bonnes pratiques et la mise en conformité.


● IA et responsabilité


L'utilisation de l'intelligence artificielle soulève également des questions concernant la responsabilité : qui doit-être tenu responsable en cas de dommage causé par une IA ?


Une proposition de Directive du 28 septembre 2022 (4) prévoit d'encadrer spécifiquement certains dommages causés par l'IA, et à compléter l'IA Act sur les questions de responsabilité. Alors que l'IA Act propose des règles visant à anticiper les dommages, la Directive sur la responsabilité en matière d'IA permettra d'obtenir une réparation en cas de préjudice. Pour cela, la Directive propose de mettre en place une présomption de causalité entre la faute et le dommage d'une part, et un accès simplifié aux éléments de preuves par la victime d'autre part.

« La nouvelle directive sur la responsabilité en matière d'IA procède à une réforme ciblée des régimes nationaux de responsabilité pour faute et s'appliquera aux actions intentées contre toute personne ayant commis une faute qui a influencé le système d'IA à l'origine du dommage, à tout type de dommage couvert par le droit national (y compris les dommages causés par un acte de discrimination ou par une violation de droits fondamentaux tels que le droit à la vie privée) et aux actions intentées par toute personne physique ou morale. » Commission Européenne, Questions et réponses: directive sur la responsabilité en matière d'IA Bruxelles, le 28 septembre 2022

3. L'IA Act : on fait le point


En tant que première réglementation globale de l'intelligence artificielle, l'IA Act adopte une double approche :


(1) D'une part, une approche fondée sur les niveaux de risques selon les usages et assortie de règles spécifiques :

  • Risque inacceptable : les IA seront interdites

  • Haut risque : les règles seront ici renforcées

  • Risque faible : des obligations de transparence sont prévues

  • Risque minime : un code de conduite est proposé


(2) D'autre part, une approche fondée sur la technologie elle-même avec des règles spécifiques pour l'IA générative, et notamment la transparence des sources.



Pour rappel, voici l'historique chronologique de l'IA Act en quelques points clés :


  • 21 avril 2021 : la Commission européenne fait une proposition de Règlement sur l’IA basée sur différents niveaux de risques ;

  • 14 juin 2023 : le Parlement européen adopte plusieurs amendements parmi lesquels on trouve notamment l’introduction d’une nouvelle catégorie d'IA appelée IA à usage général qui inclus les modèles de fondation et l’IA générative, et des nouvelles obligations de transparence pour les modèles de fondation peu important le niveau de risque ;

  • Phase de trilogue : c'est l'ouverture de la phase de discussion entre la Commission européenne, le Parlement européen, et le Conseil de l’Union européenne (les 3 institutions de l'UE qui composent le triangle institutionnel) ;

  • 10 novembre 2023 :  la France, l’Allemagne et l’Italie s’opposent à la règlementation des modèles de fondation et proposent simplement de mettre en place un Code de conduite sans sanction, sauf en cas de violations répétées ;

  • 9 décembre 2023 : la Commission européenne, le Parlement européen, et le Conseil de l’Union européenne parviennent à un accord provisoire avec quelques compromis ;

  • 2 février 2024 : les 27 États membres (Conseil de l’Union Européenne) approuvent le Règlement sur l'IA ;

  • 13 février 2024 : le Conseil de l'UE approuve le Règlement sur l’IA ;

  • 13 mars 2024 : le Parlement européen approuve le Règlement sur l’IA.

  • Le Règlement devrait bientôt être adopté définitivement

« La législation entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel et sera pleinement applicable 24 mois après son entrée en vigueur, à l’exception de l’interdiction des pratiques interdites, qui s’appliquera 6 mois après la date d’entrée en vigueur, des codes de pratique (9 mois après l’entrée en vigueur), des règles concernant l’IA à usage général, notamment la gouvernance (12 mois après l’entrée en vigueur), et des obligations pour les systèmes à haut risque (36 mois). » Source : Les députés européens adoptent une loi “historique” sur l’intelligence artificielle - touteleurope.eu

Alors que les applications de l'IA continuent de se développer dans de nombreux domaines, il est essentiel que le cadre juridique s'adapte pour garantir une utilisation éthique et responsable de cette technologie. En suivant de près les développements législatifs et en encourageant le dialogue entre les experts en technologie et en droit, nous pourrons construire un cadre où l'IA contribuera positivement à la société tout en respectant les droits établis. La Commission de l'IA a d'ailleurs remis un rapport (5) au Président de la République contenant 25 recommandations, parmi lesquelles on trouve 7 recommandations prioritaires.


À suivre ....


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